Nulle pause n'était admise durant l'état d'urgence. Sitôt le Conseil terminé, Valkyria fut assignée sur une nouvelle enquête – l'investigation des archives pour comprendre la faille relative aux tours de garde. Intimement, la chef de la garde se doutait que cette absence n'était pas le fruit du hasard, et qu'elle avait été préméditée par les Dukharistes en charge de l'opération. Elle ne savait pas encore à quoi s'attendre, et par conséquent, quels éléments devaient-elle tacitement dissimuler ou non au grand jour. Inutile cependant de spéculer vainement sur les tenants et aboutissants de l'enquête : elle devait plutôt ménager son énergie pour prendre des décisions convenables une fois sur place.

Si elle avait la mainmise sur les terrains d’entraînement, les sous-sols étaient loin de se loger à la même enseigne. Elle réquisitionna l'aide d'une archiviste du nom de Miriel qui passa par là pour la guider au travers du dédale souterrain. La remerciant expressément lorsqu'elle atteignit l'entrée des archives, Valkyria salua sa guide avant de constater quel serait le partenaire qu'on lui avait affublé pour mener l'enquête. Comme à l'accoutumée, le hasard ne s'accordait pas pour lui conférer un coéquipier qui l'arrangeait. Elle découvrit avec déplaisir l'assignation de Yue pour cette mission, sentiment magnifié par la sollicitation permanente subie depuis la matinée. Sans pour autant chercher à se montrer désagréable, la Séraphine salua placidement son interlocuteur.

 « Oh, vous ici. Bonjour. Je suppose que nous devrons travailler de pair pour vérifier les archives ? »

Elle conservait un minuscule espoir que sa présence soit imputée au hasard. Cependant, elle savait en toute âme et conscience qu'il ne s'agissait que d'une illusion factice. Elle aurait pour coéquipier quelqu'un qu'elle ne portait pas dans son cœur.

L’ange membre du conseil avait déjà pris ses prédisposition en s’enquérant du dossier relatif au garde supposé en veille. Concis et droit au but, il résuma les éléments du rapport qu’il tendit à la Séraphine, signifiant au passage avoir procédé à la vérification de la signature du dénommé Kiran Deleon. Bien que comprenant les excès de zèle de Yue, ces dernières irritèrent Valkyria en raison de son manque d’appréciation du personnage. Elle n’en fit cependant pas part et se contenta de feuilleter en toute neutralité le dossier fourni. Histoire de ne pas envenimer la situation, elle se contenta d’approuver les actes de son interlocuteur tout en cherchant à son tour à en apprendre le plus possible. Sans lever les yeux, elle lui signifia.

 « Au moins, ceci a été vite établi. Qui est allé vérifier dans les locaux ? »

Pas qu’elle doutait de la véracité de ces propos. Seulement, il convenait de savoir qui étaient les proches de Yue. Toute information qui lui serait rapportée pouvait se révéler cruciale, et Valkyria savait ô combien ce dernier pouvait se montrer insistant. Il avait le potentiel pour devenir une gêne considérable. En aucun cas, on ne devait lui faciliter la tâche. Quelque part, cette attitude s’apparentait à une forme de respect vis-à-vis du conseiller, bien qu’elle ne s’exprimât pas de la façon la plus honorable qui soit. Du reste, Yue semblait avoir plus ou moins décidé de la suite des opérations. Encore une fois, l’archange ne trouva rien à redire. Elle se contenta une fois de plus d’approuver.

 « Cette proposition me convient. Laissez-moi juste le temps de rédiger une note rapide vis-à-vis des éléments du dossier. »

Une sorte de récapitulatif de ce qu’avait énoncé Yue. Une fois achevé, ils se mirent en route en direction de la demeure du principal concerné de l’affaire. S’il ne dérangeait pas Valkyria de faire le trajet dans le silence le plus total – vu la personne qu’elle se coltinait – elle demeurait assez intelligente pour tirer profit de ce voyage pour chercher à soutirer le plus d’informations de la part de l’ange. Pendant la réunion, la description de son intervention s’était montrée tout sauf expansive. Naturellement, Valkyria chercha à en savoir plus.

 « Reiyel s’est montré extrêmement bref dans son rapport. Est-ce dans sa nature ou quelque chose s’est mal passé pendant les soins ? »

Elle ne perdait rien à demander le temps qu’ils arrivent.

Sunao. Il était bon de savoir qu’elle était considérée comme fiable par Yue. Notant cette information dans un coin de son esprit, elle ne surenchérit pas sur cette réflexion, ne reprenant parole qu’après s’être enquis du déroulement des soins. Là encore, elle n’apprit pas grand-chose, si ce n’était une confirmation de ce qui avait été avancé par Reiyel. Dommage. Valkyria n’apprit rien de plus, et jugea bon de ne pas insister pour ne pas attirer les soupçons. Elle se contenta de répondre simplement à la question du conseiller.

 « Pas spécialement. Je ne le connais pas non plus, mais peut-être y avait-il un élément incertain qu’il a préféré ne pas avancer au cours de la réunion. En comparaison avec les autres rapports, le sien était de loin le plus succinct. Je me demandais juste si les soins se sont montrés si intenses qu’il en a occulté des détails, voilà tout. »

Concluant le volet de la discussion pendant le voyage, les deux anges arrivèrent à destination. L’absence de réponse – bien que prévisible – se révéla fort fâcheuse. Perquisitionner par la force n’était jamais une partie de plaisir, et pourtant elle ne pouvait s’en soustraire. Agacée devant l’absence de réponse, elle lâcha un soupir avant d’amorcer la « prise de mesures nécessaire » en prévenant Yue.

 « Visiblement, nous n’avons pas le choix... »

Vérifiant d’abord que la porte était fermée à clef, la chef de la garde recula pour prendre un peu d’élan. Puis, d’un puissant coup de pied, elle déverrouilla cette dernière, se doutant de devoir assumer le rôle « masculin » dans son tandem. A la galanterie exceptée, toutefois. Elle pénétra en premier afin de fouiller les lieux. Personne ne semblait se cacher à l’intérieur. Elle annonça alors à Yue la chose suivante.

 « Je vais fouiller sa chambre. Libre à vous d’en faire de même ou de chercher dans une autre pièce pour gagner du temps. »

La Séraphine s’exécuta sitôt sa phrase terminée.

Yue convint de séparer les tâches, ce qui allait parfaitement avec ce que désirait Valkyria. Assez étrangement, en dépit de leurs vagues inimitiés, ils coopéraient dans la plus grande simplicité et efficacité pour le moment. Brefs et concis, ils ne perdaient pas de temps dans de querelles insensées. Sur le fond, elle approuvait le modus operandi du conseiller : l’objectif de la perquisition consistait à s’emparer de dossiers ou de preuves que l’intéressé cherchait à dissimuler. Se trouvant cependant dans une autre pièce lorsqu’il l’annonça, elle ne lui répondit guère.

Sa fouille de la chambre se révéla pour le moins infructueuse. Aucun dossier, aucun élément suspect ne pouvaient être décemment retenus contre le garde. Du moins, jusqu’à ce que la chef de la garde ouvre l’armoire. A la découverte du corps inanimé, bâillonné et ligoté de l’hôte des lieux, elle demeura stupéfaite et interdite l’espace de quelques secondes. Battant des yeux comme pour percuter la réalité, son sang-froid inhérent à sa position la ramena sur terre. Ou plutôt dans la Cité. Elle secoua la tête, scrutant furtivement pour voir s’il n’y avait pas d’élément particulier sur le corps qu’il aurait mieux valu dissimulé. Elle tâta également le pouls avant d’appeler Yue.

 « Yue ! Venez immédiatement ! »

Le ton ne se voulait pas irrespectueux, mais traduisait l’urgence de la situation. On pouvait imputer à Valkyria une forme d’habitude à ordonner de la sorte. Le cas présent le justifiait. Elle prit soin d’ôter le bâillon du garde en attendant que le conseiller découvre le corps. Il le verrait dans un état sensiblement proche de celui dans lequel elle l’avait trouvé. Lorsqu’il arriva, la Séraphine lui mit expressément au fait.

 « Au bâillon près, je l’ai trouvé dans cet état. Il semble inconscient. Aidez-moi à le transporter sur son lit, nous le déferons de ses liens ensuite. »

Elle se pencha immédiatement pour lui soulever le buste et le porter jusqu’à ladite destination. Elle attendit la réaction de Yue avant de le détacher, pour voir s’il contesterait cette proposition. Par suite, elle surenchérit.

 « Difficile de le penser comme un coupable plutôt qu’une victime dans ces conditions… Avez-vous trouvé quelque chose de votre côté ? »

Le conseiller ne se fit pas attendre et obtempéra aux suggestions de Valkyria. Le bâillonné fut donc déposé sur son lit, tandis que Yue se chargea de contacter du renfort par le biais d'une colombe. Il écarta l'hypothèse de la chef de la garde quand à la présumée innocence de l'individu, avançant qu'il pouvait s'agir d'un complice jouant remarquablement son jeu. La Séraphine ne s'aventura pas à le contredire, d'une part parce qu'elle n'en voyait pas l'intérêt, et d'autre part parce qu'elle ne connaissait pas spécialement le dénommé Kiran pour prendre sa défense. Elle se contenta simplement de hausser les épaules, préférant passer à autre chose. Yue fit également part d'un dossier retrouvé chez le propriétaire des lieux sans avancer de quelconques détails. Naturellement, cette pièce à conviction intrigua son interlocutrice qui lui demanda précisions.

 « Qui est concerné par ce dossier, et qu'avance-t-il ? »

Elle n'allait pas aller jusqu'à supposer que Yue cacherait ce genre d'informations. En outre, elle avait mieux à faire que relire un document qu'il avait déjà parcouru et qu'il était en mesure de résumer : la récolte de preuves sur le corps du captif se révélait d'autant plus importante. Elle imita son vis-à-vis dans la procédure, et entreprit de fouiller la partie antérieure de son corps, ne négligeant ni poches ni palpations. Bien qu'affichant un regard neutre et professionnel, Valkyria ne put s'empêcher de ressentir un certain dégoût à l'idée de tâter aussi vulgairement un corps, le manifestant discrètement à l'égard de Yue lorsqu'elle eut terminé.

 « Je ne peux pas dire que j'affectionne ce genre de pratiques… »

Avait-elle glané de quelconques indices, ou s'était-elle attardée sur le corps pour rien ? Dépendant du résultat, elle s'autorisait à explorer d'autres pièces.

Hilary Enrickson. Valkyria archiva cette information dans un coin de sa tête tandis qu'elle fouillait, sans succès, le corps du résident. Elle ne s'était pas vraiment attendue à ce que Yue surenchérisse sur sa dernière remarque, et haussa brièvement les sourcils, sans pour autant lui répondre quoi que ce soit. L'examen médical n'étant pas franchement sa spécialité, elle n'avança aucune hypothèse quant aux indices (ou plutôt l'absence de ceux-ci) sur le corps de la victime, se contentant de constater qu'elle n'arborait aucune pièce à conviction suspecte.  « Pas de pièces à conviction sur son corps non plus. », se contenta-t-elle d'ajouter sur un ton professionnel. Cette fouille n'avait décidément rien donné.

Lorsque les envoyés du cercle des soins débarquèrent, elle opina à leur question, leur indiquant du doigt où le corps avait été retrouvé avant de leur laisser le relais. La chambre ayant été fouillée sans afficher d'élément digne d'intérêt à l'exception du corps, elle décida de passer au crible les dernières pièces de la maison. De ce fait, elle fit part de sa décision à Yue sur des airs qui statuaient presque une clôture de l'enquête.

 « Je vais fouiller les pièces manquantes. A moins que vous n'ayez d'autres suggestions... »

Elle se garda de l'informer d'une quelconque volonté d'enquêter, de son côté, sur l'intérêt que pouvait porter Kiran pour Hilary. Une fois la fouille de la maison terminée, cela s'entendait.

Il existe des personnes qui, pour une raison intrinsèque et dépourvue de tout aspect rationnel, irritent par leur simple présence. On pouvait dire, d'une certaine façon, que Yue s'inscrivait dans ce paradigme aux yeux de Valkyria. Ceci n'empêchait pas non plus la chef de la garde d'accomplir son travail, bien qu'elle désirât en finir au plus vite, ou à défaut, se tenir le plus loin possible du conseiller quand elle le pouvait.

L'absence d'autres éléments probants mit fin à l'enquête. Kiran fut embarqué par les services de soin ; les deux enquêteurs patienteraient jusqu'à la fin de leur intervention pour questionner le bâillonné. La séparation des routes, ainsi que la pause annoncée par Yue, convinrent à la Séraphine, qui répondit – pour une fois – dans le sens de son interlocuteur.

 « En effet. Je vais, pour ma part, vérifier le registre des tours de garde afin d'établir si la signature de Kiran était authentique… ou falsifiée. J'imagine que nous nous retrouverons à son chevet. »

Que l'émargement fût authentique ne changeait que peu à la donne. Complice ou victime, le concerné aurait très bien pu se faire « capturer » et enfermer dans sa demeure après avoir entamé sa ronde. En revanche, il était plus difficile – bien qu'envisageable – de penser qu'une fausse signature inculpât le garde. C'était dans cette optique que Valkyria visait à élucider le mystère, et obtenir quelques éléments de piste.

Ce qu'elle ne révéla pas à Yue, en revanche, c'était sa volonté de se renseigner sur Hilary Enrickson. Pourquoi Kiran disposait-il d'un tel dossier à son nom ? Qui était-elle et quels rapports entretenait-elle avec ce dernier, si rapports elle entretenait ? Elle se demandait, en outre, qui pouvait la renseigner sur le sujet. Peut-être qu'Iriziel, en tant que Dukhariste, pouvait lui révéler si l'un ou l'autre faisait partie de l'organisation, ce qui permettrait de voir les choses au clair ? Pendant qu'elle y réfléchissait, elle salua placidement Yue et reprit sa route.

 « A plus tard, j'imagine. »

Pas de cérémonie. Elle s'envola en direction de la caserne.