C’était il y a encore des milliers et des milliers d’années… Quelle histoire raconter ? Le commencement ? Quelle idée puis-je en avoir ? Je ne m’en souviens aucunement. Juste un paysage blanc, tout de blanc, de brume fine. Juste lui et moi. Michael et moi. Seuls, regardant le monde d’en dessous sans pouvoir y parvenir. Vite, nous nous rendîmes comptes que nos volontés se réalisaient dès qu’on y pensait. Voilà que je pensais au feu et qu’il se matérialisait dans ma main, sans me brûler. Juste du feu. Michael s’en trouva blessé. Le sang… Cette couleur vermeille… Je ne savais pas que je la voyais pour la première fois. La douleur. Comment savoir ce que c’était ? Par la grâce de nos possibles créateurs, Michael se soignait tout seul. Je n’en étais pas capable. Nous étions si différents, pourtant, nous étions tous les deux dans ce monde, moi, de longs cheveux ébènes, des ailes déployées, des ailes qui faisaient peur… Mais, je ne connaissais pas ce sentiment que je dégageais à l’époque, il n’y avait que lui et moi, c’était juste le commencement…

La construction avait commencée, il y a huit mille ans de cela je crois, le temps me fait défaut, cependant mes souvenirs sont pour la majorité intacts. Michael avait appris qu’il pouvait manipuler les âmes, faire venir des gens ici… Dans notre monde, dans notre dimension à tous les deux. Était-ce une erreur du passé de faire cela ? Nous n’y avions pas réfléchi. Notre seule ambition était de ne plus être seuls. Je m’étais basé sur des monuments humains – comme ceux-ci s’appelaient- et sur leur architecture. Mon pouvoir était difficile à contrôler au début. Je ne savais pas mes limites. Et il est possible qu’à l’heure où j’écris ces lignes, je ne le sache pas non plus.

Nous commencions à accueillir les morts. Méritaient-ils cette seconde vie ? Nous ne le savions pas, à vrai dire, avec Michael nous ne nous étions pas posé la question, nous n’étions plus seuls, et pour le moment, c’était l’essentiel. Il était heureux, il y a avait du monde, et cela me suffisait. J’étais heureux aussi. Quelques années plus tard, nous découvrîmes que nous avions la capacité de transmettre certains de nos pouvoirs sans que cela ne nous porte préjudice. Par soucis d’équité probablement, nous le fîmes. Ou plutôt Michael… Ses pouvoirs étaient si purs… Si… Normaux ? Qu’est-ce que le normal ? En ce qui me concernait, j’essayais de le protéger. Pourquoi certains osaient le critiquer ? Lui, Michael qui soignait leur maux ? Était-ce parce qu’ils étaient humains à la base ? Jamais je n’ai pensé du mal de cet ami, de cet amour, et jamais il n’en a pensé non plus, j’en suis certain. Alors pourquoi les humains sont-ils obligés de critiquer les autres ? Pourquoi, avec des pouvoirs se sentent-ils supérieurs ? Je n’aurais jamais de réponse à cette question, j’en étais persuadé. Et je n’ai toujours pas trouvé la réponse. Répondre « parce qu’ils sont humains » n’est pas justifiable.

Un jour, nous accueillîmes toujours, avec cette même chaleur un homme. Il s’appelait Cyrthel. Il était bon. Il était dévoué. Michael lui avait donné plus de pouvoir que les autres. Et surtout il était gentil. J’avais lié une relation avec cet homme. D’ami à ami, avec Michael, nous étions ses ‘professeurs’, lui apprenant à lire et à écrire, sa civilisation n’étant pas encore assez avancée. J’appris beaucoup de lui. Sur les concepts de l’amitié et de l’amour. La haine ? Je l’apprenais malheureusement seul.

Pourquoi avais-je été en colère ce jour-là ? Je ne savais même pas ce qu’était la colère. Mon cœur battait juste plus vite. Mon regard était plus tranchant, le sourire effacé. Juste l’envie de ne plus voir personne. Cet homme venait de me traiter de monstre. Il m’avait vu, créer quelques bâtiments, manipuler le feu et l’aimer. Il m’appela le ‘Diable’ tout en me jetant quelques pierres à la figure. La signification de ce mot, je l’avais apprise en regardant les humains. Diable, démon, invention humaine pour parler du Père du mensonge, de celui qui manipule juste du Mal à l’état pur. Je priais pour qu’il disparaisse de ma vue, pour que son existence se défasse, juste pour qu’il s’en aille loin, loin. La lueur de son âme s’effaçait, et sans que je m’en rende compte, je venais de le faire disparaître.

Tout le monde était au courant. Je découvrais que je pouvais détruire les âmes. Michael était capable de les sauver, et moi, juste de les détruire. Je n’osais plus penser. Je découvrais cette peur, si la folie s’emparait de moi… Je détruirais tout ce que nous avions construit. Mon ami avait essayé de le ramener, mais en vain. La vie que je venais de détruire était partie en poussière, plus jamais, cette âme était détruite. J’étais sous le choc, je regardais juste mes mains, ne comprenant même pas au début que c’était ma faute. Suite à cela, des rumeurs se propagèrent dans la Cité au fur et à mesure que les années passaient. « Il ne faut jamais l’énerver ou tu risques de mourir dans d’atroces souffrances ! ». Certains avaient cependant compris qu’il s’agissait d’un simple accident même s’il avait eu d’énormes répercutions. Je restais la majorité du temps cloîtré dans notre villa, à Michael et moi. Lorsque je sortais on me regardait. Et, cet homme qui m’avait appelé « monstre » resterait toujours en moi. J’étais devenu, aux yeux de ceux qui devaient nous sortir de cette solitude, un monstre qui ne fallait pas regarder. Je m’éloignais peu à peu des bons sentiments. Si je les montrais, on disait que je n’étais qu’un menteur et qu’il fallait toujours faire attention. Un masque de froideur et de cynisme s’installa au fur et à mesure des années, ces personnes qui m’avaient dégradé, je les regardais parfois avec ce regard supérieur. Je n’arrivais pas à rester gentil et sans ressentiment lorsque l’on me regardait avec cette haine ou cette peur dans les yeux. Je ne la ressentais pas, mais je la voyais tous les jours.

Des années et des années après, des centaines d’années, cette situation devenait insupportable. Il ne m’était plus possible de vivre ici. J’étais près d’une des seules personnes qui m’avaient pardonnée, Michael, il était toujours auprès de moi après ces deux mille années d’existence. Ce qui se passait avec moi le rendait triste, l’énervait même parfois terriblement. Je ne pouvais pas lui faire ressentir une telle chose lui qui était si pur. Je décidais de m’exiler. Bien sûr, je lui annonçais que j’allais m’en aller un peu plus loin. C’est alors que je créais mon manoir, emmenant ainsi avec moi tous ceux qui osaient déranger Michael avec leur impureté, et, reniant mon prénom, en l’honneur de ceux qui m’avaient dénigré, j’en choisi un autre, Lucifer se transforma Saytãn, dit « l’adversaire ».